21 mars 2017

Le philosophe, le capitaine et l'armateur



Les réactions de Bernard CLAVEL au livre de Roger GARAUDY:

"Mon tour du siècle en solitaire".(MEMOIRES, Editions Robert Laffont, 1979)

Il semble que, dans un premier temps du moins, on parle peu du nouveau livre de Roger GARAUDY:"Mon tour du siècle en solitaire".

Alors,je m’interroge sur les raisons du silence dont on voudrait envelopper ces pages que je viens de dévorer.

Photo Abdersen Ulf/SIPA
En notre époque où la bêtise triomphe si souvent, aurait-on peur de 1’intelligence? Alors qu'il ne passe guère de semaine sans qu'on nous révèle une trahison de confiance, une escroquerie, une vilenie à tous les niveaux et dans n’importe quelle classe de la société,redouterait-on les grandes consciences ? L'an dernier, Casamayor, autre esprit supérieur et autre âme pure et noble, nous a quittés sans que son départ fasse 1'ombre du bruit que provoque un orteil foulé chez un joueur de ballon. Beaucoup le croyaient mort depuis longtemps alors qu'il n'avait jamais cessé de publier des livres importants.

Roger Garaudy est aujourd'hui musulman. Ce chrétien marxiste s' embarque sur un vaisseau dont il sait d'avance qu'il ne sera pas d'accord longtemps avec 1'armateur ni avec le capitaine. Mais, là comme ailleurs, ce que Garaudy espère tout au fond de son coeur si souvent blessé, c’est sauver 1'équipage.

Car cet homme de foi est avant tout un amoureux de 1'homme. Et c'est bien là le paradoxe d'une existence comme la sienne, que son amour des êtres ait si souvent réussi à faire le vide autour de lui.

A la première lecture de ces pages, nous sommes étonnés par 1' itinéraire et les étapes qui le jalonnent. Staline, Gaston Bachelard, Fidel Castro, Jean-Paul Sartre, Dom Helder Camara, Paul Eluard, Maurice Thorez, Picasso, Kadhafi, Krouchtchev, De Gaulle, Pablo Neruda... Quel étonnant carnet d'adresses ! Quel peintre de notre époque oserait rêver pareille galerie de modèles !
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Le problème avec Garaudy c'est qu'il se sent à 1'aise avec tout le monde parce qu'il est d'une nature qui fonce tête baissée dans la confiance. Mais les dérives le réveillent. Alors il s'en va. Pas toujours en claquant la porte, parfois  sans rien dire, souvent après avoir vidé son sac. Comme ce fut le cas, en février 1970, lorsqu'au terme d'un discours de vérité, il quitta la salle du XIX ème Congrès du Parti Communiste dans un silence de mort. Scène qu'il raconte de manière bouleversante et qui m'a rappelé Jean Guéhenno quittant, en 1945, le Comité National des Ecrivains dont il avait été 1'un des fondateurs au temps du risque, et lançant à Aragon: "Regardez-moi bien, car vous ne me verrez plus !"

Cher Garaudy, vous avez largement dépassé le demi-siècle d’action militante et vous découvrez qu'en enfer, les saints sont toujours accueillis comme des chiens dans un jeu de quilles.

Ce que vous n'avez cessé de chercher d'une église à 1'autre, de la Résistance à la Chambre des députés, de la mansarde des prêtres-ouvriers à 1'Abbé Pierre, des prisons aux camps de concentration, ce sont des frères. Homme de fraternité avant tout, vous croyez toujours avoir découvert 1'entrée du Paradis Terrestre, vous vous y engouffrez le coeur battant.

On voudrait que ce texte se trouve chez tous les gens qui s’interrogent sur le monde et son futur. Oui, il faut "inverser les dérives actuelles !"

1943, après 33 mois de
déportation
Je regarde votre photographie prise lorsque vous sortiez de trente-trois mois de détention, sec comme coup de trique. Vous portez des sandales dont je puis vous assurer qu'elles n'étaient pas faites pour vous permettre d'emprunter un chemin semé de braises rouges et entravé de ronces. Or, c'est ce chemin-là que vous avez choisi. Vos sandales sont usées depuis longtemps et vous n'avez cessé de vous déchirer les chairs.

Certes, vous avez rencontré des êtres tirés du même fagot que vous. J'en ai déjà cité quelques uns et j'y ajoute Bollardière avec qui, comme vous, je me suis senti en toute fraternité. Mais combien de Sharon pour un Bollardière,combien de Hitler pour un Gandhi , de Mayol de Luppé pour un Père Lelong ? De Barbie pour un Martin Luther King ?

Vous espérez, en terminant votre livre, que les peuples du monde finiront par prendre conscience que la survie de 1' espèce est au prix de la destruction des pires armements et qu'ils 1'exigeront. C’est exactement ce que je souhaite aussi de tout mon être, ce à quoi je travaille avec les pauvres armes dont dispose 1'homme de bonne volonté; mais la soif de violence de ces peuples dont vous parlez est telle, elle est si bien attisée en permanence par ceux qui vivent de la fabrication et du commerce des armes, que je nous vois, vous et moi, au rang des naïfs.

Il est vrai que je ne suis pas soutenu, dans mon espérance, par la foi qui vous porte et qui, sans doute, contribue à donner à votre voix ces intonations profondes et nobles qui nous bouleversent.

Votre livre m'a fait passer deux journées enrichissantes et fort troublantes. Elles laisseront des traces en moi et votre livre va prendre place sur 1'étagère où se trouvent mes plus précieux compagnons de route.




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